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Interview

Michel Fugain

La vie est belle

Lors de son passage à Saint-Amand-les-Eaux, où il est venu chanter avec 600 choristes de
la région, nous avons rencontré Michel Fugain.

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Combien d'albums jusqu'à présent?
Je n'en sais rien, je pense que je prépare le 18ème.

Toujours avec les mêmes auteurs, les mêmes personnes ?
Oui, avec Brice Homs et surtout Claude Lemesie. Je suis toujours étonné qu'on me pose cette question : "Toujours les mêmes auteurs ? ". Quand un type fait les mélodies, c'est mon cas et chante, il a besoin d'avoir une identité. Je ne fais pas mes textes moi-même, même si j'y participe très très fort. Il faut du temps pour que deux personnes trouvent l'identité du troisième qui est le chanteur. Je suis aussi celui qui va chanter les chansons. Il n'y a pas  d'attachement des gens à un artiste qui n'aurait pas d'identité. Cette identité il faut du temps pour la mettre en place, elle est faite d'une complicité totale avec les auteurs. Ils me connaissent par coeur, je les connais par coeur. On forme un tout! Ces gens qui changent d'auteurs systématiquement comme ça, qu'ont-ils de personnel? C'est un discours qui commence dès qu'on débute dans ce métier et qui se finit avec l'arrêt de la carrière. On n'a pas mille discours, on en a un qui se solidifie, qui se cristallise de jour en jour, d'année en année, de disque en disque. Je trouve déjà formidable d'avoir deux auteurs après les deux premiers. Pierre Delanoë et Maurice Vidalin. Pierre, je ne travaille plus avec lui car il est âge maintenant et Maurice nous a quittés, Claude Lemesie travaillait déjà avec moi. C'est un petit monde avec lequel on espère toujours créer une chanson populaire. J'aurai toujours envie de dire que la vie est belle et puis en même temps j'aurai envie de dire : elle est belle, mais il faut faire gaffe. Et je ne peux le dire qu'avec des gens qui, avec leur plume et en me connaissant pourront y mettre toutes les nuances possibles. Donner l'image la plus complète possible, cela ne se réalise qu'avec peu de gens.

Cela ressemble un peu à une histoire d'amour, il y a des gens qui sont fidèles et qui gardent leur équipe et il y en a d'autres comme Piaf, qui tentent de s'approrier tout ce qui passe... C'est le fait du roi. Je ne pense pas que cela marche comme ça. Je n'ai pas envie de prendre au passage. Je respecte les créateurs et puis Piaf a chanté des grosses bêtises, que personne d'autre n'aurait pu chanter.

Et Piaf ne faisait pas les musiques...
Non c'est une chanteuse. Moi je pense que chanteurs et chanteuses ne faisons pas le même métier. Ce qui m'intéresse ce sont des gens comme Souchon et Voulzy. C'est une construction sur des années, une équipe qu'on ne change pas comme ça.Je viens de préparer un nouvel album avec Claude Lemesie. Je pense qu'il a fait des textes qui sont parmi les plus beaux qu'il m'ait jamais fait. Il faut du temps. Vous travaillez en groupe restreint, mais aussi avec des groupes plus importants comme le Big Bazar et vous avez multiplié les duos avec Maurane, Kent, Trio Esperanza...
Je n'ai pas multiplié, j'ai chanté avec les gens que j'aime. Il n'y en a pas beaucoup. Kent c'est une rencontre et ça s'est soldé par une chanson. C'était quelque chose d'éphémère, alors qu'on continue à s'aimer beaucoup. Maurane, c'est ma petite soeur. On passe nos vacances ensemble, elle fait partie de ma famille et c'est normal qu'elle chante là. Véronique Sanson, c'est une vieille amitié. Je n'ai pas chanté avec tant de gens que cela , seulement ceux avec lesquels j'avais envie de chanter.

Avez-vous encore des contacts avec les gens du Big Bazar : Vava, Mouron...?
Excessivement lointains. C'est une page tournée. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne s'aime pas, mais chacun vit sa vie. On n'a jamais mélangé, même dans le Big Bazar. On travaillait ensemble, on avait une idée de travail, une espèce de coopérative qui nous permettait de gagner notre vie, puisqu'on était tous patrons de cette coopérative et on a eu le plus beau théâtre ambulant qui existait, la meilleure sonorisation, te meilleur éclairage, simplement car notre coopérative était régie par des lois telles qu'on gagnait 250f par soir chacun. Cela ne faisait pas un budget colossal artistiquement, mais techniquement on avait quelque chose qui tenait debout et qui autrement n'aurait pas pu exister.

C'est quand même la seule expérience qui ait tenu dans le genre en France. En dehors des Compagnons de la Chanson...
Oui cela m'a étonné et ne m'étonne plus car on a d'abord l'impression que tous les gens qui font ce métier veulent d'abord gagner de l'argent. C'est incompatible. Ils gagneront peut-être un peu de sous, mais ils le perdront très vite.

Connaissez-vous le mode de fonctionnement des Compagnons de la Chanson?
Non !

Ils demandaient d'abord la capacité de contenance de la salle, puis en fonction de ce critère, ils établissaient leur prix, disant qu'ils avaient ensuite la charge de remplir la salle...
Cela n'existe plus. les artistes qui ne remplissent pas les salles ne tournent pas longtemps. Il y a des grands noms très médiatiques dont la tournée s'est arrêtée 4 jours plus tard. Les producteurs ne veulent plus perdre de l'argent sur les spectacles.

Vous avez fait des comédies musicales, on en voit un peu partout actuellement, cela vous donne-t-il des envies?
Pas dans la forme que j'ai vue jusque là, mais j'ai de plus en plus envie de faire un truc qui soit du domaine de l'oeuvre, avec un propos, une histoire. Après il faut trouver le bon librettiste, car le livret est très important et on ne peut pas faire une bonne comédie musicale actuellement si le livret n'est pas bon.

Il n'y a pas de comédie musicale actuelle avec une pointe d'humour. Il n'y a pratiquement que de l'amour et de la tragédie...
Je n'ai pas envie de donner mon avis la-dessus, car trois comédies musicales qui se montent après un succès j'ai l'impression que ce sont trois entreprises qui ont envie de gagner des sous dans la queue de la comète en se mettant dans le vent. D'abord une comédie musicale ne se fait pas en un an. Alors que là tout a été écrit en
urgence. Ils peuvent prendre tous les minets, les minettes et tous les chanteurs style Eurovision d'ailleurs, c'est donc nul et non avenu, ça ne sert à rien. Il faudrait que leurs projets stimulent une génération, alors que pour l'instant je n'ai entendu que parler d'argent, qui fait faire n'importe quoi et surtout de la récupération.

Avez-vous totale liberté avec votre maison de disques dans le choix des chansons?
J'ai résolu mon problème. Je suis producteur donc je fais ce que je veux, mais si j'ai conscience que les chansons que je chante ne vont pas toucher le public, je ne les fais pas. C'est d'abord fait pour partager et aller vers les autres.

Il y a des chansons qui seront plus populaires dans la forme que d'autres, mais il y en a qui servent simplement à lancer un petit message. Celui qui achète un album aime bien je pense avoir plusieurs types de chansons, certaines qui font grincer des dents , certaines qui font rire, d'autres qui procurent des émotions sous une forme un peu moins populaire.
Populaire pour moi veut dire efficace.

Y a-t-il des chansons de votre répertoire que vous n'enregistreriez plus ? II doit y en avoir une ou deux faites dans des conditions un peu spéciales. Je ne parle pasdes chansons naïves faites en pensant qu'on allait changer le monde, car celles-là j'accepte volontiers l'idée de les refaire. Tout le monde passe par la naïveté, quiconque n'est pas passé par la naïveté est un cynique en puissance. Il existe des chansons purement commerciales, car il y a eu un moment où personne ne voulait de moi et il a fallu que je fasse des chansons de boutiquier, car il fallait que je fasse quelque chose. Donc j'ai fait ! Mais je n'ai pas persisté.

Yen-a t-il dans le répertoire des autres que vous auriez aimé créer?
Paradoxalement non! Je fais juste les chansons qui me sont nécessaires pour un album. Il faut dire aussi que cette année j'ai fait deux albums, celui de Sardou et le mien. Deux albums, ce sont 20 chansons en un an. C'est assez! Je me suis d'ailleurs étonné, car je n'ai pas de chanson en réserve. Celles qui sont en réserve sont celles qui sont arrivées trop tard. Elles n'ont pas eu le temps de maturer et elles seront sur un prochain album.

Ya-t-il des chansons que vous n'avez jamais chantées sur scène mais que vous avez enregistrées ?
Une multitude. Sur un album on chante peu de chansons en fait. Il y a peu de chansons qui passent la rampe. Il m'est arrivé de chanter de façon tout à fait exceptionnelle, vu les circonstances, des chansons que je n'avais jamais chantées auparavant, je pense à "Je suis bien" ou "Papy Martineau". Les gens les ont alors découvertes et c'est amusant. On peut se le permettre au milieu de celles que les gens connaissent bien. Je vais reorendre une chanson de Maurice Vidalin dans mon prochain spectacle : "Le Testament". C'est une petite merveille. Elle dit simplement et magnifiquement ce qu'un homme arrivé à la fin de sa vie va dire. Celle-là je l'ai chantée une fois il y a longtemps, et depuis plus jamais.

Avec Sardou il y a eu une collaboration d'entrée, puis...
C'est vrai, il n'était pas encore Sardou et je n'étais pas encore Fugain. Il a commencé d'ailleurs à être Sardou bien avant que je ne sois Fugain, c'est-à-dire en 1964. Moi je n'ai commencé qu'en 1966. On était jeune et on s'est perdu de vue, même si je dis que c'est parcequ'à un moment je lui ai dit "Tu fais chier Michel, tu chantes mal..." alors qu'on préparait son deuxième 45T. Alors, il s'est levé et s'est barré. C'est faux si je dis que je
ne l'ai plus revu pendant 35 ans. Nous nous sommes forcément croisés, mais de loin en loin et sans amitié. Alors tout le monde a dit qu'on se faisait la gueule, qu'on avait pas les mêmes idées... A un moment on s'est retrouvé par un ami commun, qui est Jean-Claude Camus. Jean-Claude tient à ce que ses artistes s'aiment. Comme Michel venait de rompre avec Jacques Reveaux, on a décidé de refaire des chansons ensemble.
Vous avez toujours eu un autre ami commun : Pierre Delanoë...
Pierre s'est mis un peu sur la touche, car il vieillit. C'est la vie. Il ne travaille plus pour nous, mais cela reste notre vieux Pierre, à qui je souhaite une longue vie. On a eu la chance de pouvoir travailler avec un homme qui acceptait de se fondre dans nos moules. C'est un immense auteur qui nous a fagocités, vampirisés pour prendre de l'énergie et qui nous l'a rendue.

Dans le domaine de la composition des chansons, la mélodie vous vient en premier, puis vous allez voir les auteurs en leur disant : "J'ai un départ de chanson..." ou les auteurs viennent avec les textes et vous écrivez les mélodies... Quelle est l'osmose? Cela se passe-t-il en commun?
Jusqu'au disque de Sardou, je faisais la mélodie, puis Claude Lemesie venait à la maison pour travailler de façon fantastique à mes côtés. Il est capable de s'immerger dans un boulot au milieu de mille personnes qui font la foire et ensuite sortir comme on sort d'un rêve et chanter son couplet. Pour Sardou, j'ai fait des musiques sur les textes de Michel. Je me suis régalé. Je ne savais pas que j'en étais capable. J'ai adoré cela.
J'ai donc prévenu C. Lemesie et Brice Homs, en leur demandant leurs textes pour que j'écrive les musiques dessus. Ils n'ont pas voulu le faire, sauf Brice qui avait des textes en réserve. Cela ne fait pas les mêmes chansons, mais c'est un régal et maintenant ça ira de plus en plus dans ce sens là. Quand je produis de cette manière là, la chanson est terminée. Quand j'ai fait une mélodie, je me demande ce qu'on va y mettre comme texte. Quand on prend un texte et qu'on fait une musique dessus, on sait qu'on a construit une mélodie qui tient debout et qui met le texte en valeur. Quand cela est fini, la chanson est terminée. C'est extraordinaire ! Maintenant ce sera comme ça ! II se trouve que je travaille pour le Trio Esperanza sur des textes brésiliens et je me régale. C'est tellement bon de faire chanter un texte, de trouver une mélodie. J'ai beaucoup plus de fierté à trouver une mélodie construite sur un texte versifié. J'ai donc une période nouvelle qui s'ouvre à moi et qui est celle de l'écriture de la musique sur les textes. C'est différent !Cela reste l'exception française, c'est-à-dire une chanson faite parfois de trois mélodies, couplet-refrain et parfois musique additionnelle sur un texte. C'est quelque chose de riche en comparaison de certaines musiques importées qui ne comportent souvent qu'une rythmique.
Je vais vous dire quelque chose qui ne fera pas plaisir à tout le monde, tout le monde n'est pas bon et c'est facile de faire de la musique de merde. Il y a toute une industrie qui vit là-dessus (journaux, radios...), un système qui marche ensemble pour faire de l'argent sur le compte de l'ignorance et de l'incompétence. On peut donc faire du commerce avec de la publicité, mais ensuite il n'en reste rien quand il n'y a pas de mélodie.
Les chansons qui durent, sont celles qui ont une mélodie.

Syracuse de Salvador est loin d'être usée.
Sûrement pas ! Toutes les grandes mélodies des Beatles, d'Elton John... Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus, mais comme les appelés sont de plus en plus nombreux, on se retrouve avec des gens à qui on fait croire qu'ils sont de grands compositeurs. Le Rap est de la sous-musique. Qu'on ne vienne pas me dire que c'est un message des banlieues, car ils disent tous la même
chose avec les mêmes rimes pauvres et finissent par desservir les banlieues. Le premier Rap est un vrai cri, authentique. Comme tout ce qui est authentique marche, il y a tout le système pognon qui égorge le mec qui a poussé le premier cri pour venir faire de l'argent avec des sous produits.

Cela a déjà été dit en chanson par Guy Béart : "Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté"
Oui, mais la vie reste belle quand même.

Recueillis par Alain Stiévenard

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